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Il y a le parfum des pétunias...

De l'importance de la protection sociale pour l'éducation :  tribune

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Le parfum des pétunias

Il y a le parfum des pétunias,

et le jasmin en fleurs dans la montée de la rue.

Il y a le parfum délicat des roses

Qu’épuise un été ténu.

 

Il y a le son de la cloche,

La douceur presque angevine du village au soir.

Il y avait les éclats des voix,

tout à l’heure encore,

Des rires qui perçaient,

et roulaient jusqu’à moi.

 

Il y a la douceur comble de la maison,

Ses pierres rondes, ses murs épais.

Il y a ses voluptueux raccords,

ses presque-aboutis,

ses à peu près.

 

Il y a moi, au milieu de tout ça,

Dans mon refuge aérien qu’aucun toit ne touche,

Je les regarde, lointains et si près à la fois,

parce qu’ici tout se frôle.

 

Le cyprès du cimetière qui penche,

une branche, vers ta maison de marbre.

Les bougies qui bravent le vent,

Les fleurs que j’ai nourries,

La musique que j’y ai forcée.

 

Il y a toi, dans le charivari de mon cœur,

Ton sourire, tes odeurs, ton absence

Quand les autres ont oublié,

Quand la vie a passé.

 

 

Et toi qui aurais voulu aller,

Loin de ce village aux effluves de pétunias

Loin des grappes de jasmins,

Aller là où la vie exulte.

 

Je t’aurais aimé loin de cette rotondité,

Des châtaigniers, des pétunias en gorge.

J’aurais aimé les sursauts de ton âme,

Les mots, les regrets, et les écrabouillures,

Loin du ghetto paisible où se fondent mes jours

Je t’aurais aimé toujours plus.

 

Il y a la force incandescente de mes regrets,

De mon chagrin,

Les images manquantes, les mots à imaginer,

Et le temps n’y fait rien.

 

Il y a  l’envie de te porter, comme un oiseau,

De te lâcher au ciel,

De pousser tes ailes,

Pour que ta vie vive ailleurs,

Qu’elle te ressemble, de déserts éthérés en foules malodorantes,

De sombres écoutilles à des chemins saignants,

Beaux, comme la brise de juin, ou comme les orages d’août,

Beaux, comme toi et tes Indiens,

Tes mondes imaginaires,

Et tes rêves sans fin.

 

 

Le Sahel, sans commentaires

Août 2013, Montagnac

 

Au bout de la place, l’arbre flamboie au couchant.

A l’endroit où,

fugaces excroissances pierreuses dans l’herbe encore verte,

subsistent quelques pierres, vestiges des remparts du château,

disparu depuis si longtemps qu’il n’y a pas un vieux qui s’en souvienne.

 

L’arbre est planté comme un signe, là où le village s’évade en pente douce.

Les larges feuilles d’un rouge ardent, déjà,

dressent une imposante torche de ramage fourni,

comme un somptueux avertissement du temps.

 

L’automne, déjà, dit l’arbre du haut de sa splendeur,

et mon cœur se serre dans un élan de nostalgie

pour l’été encore présent mais déjà en partance.

 

Le village exsude sous la lumière descendante d’août.

Des gouttes de chaleur bravent la brise.

 

Les bruits de l’été sont là, encore.

La vie dans le Sud,

la vaisselle qui tinte,

les voix, chargées de gai,

le claquement des sandales aux talons des passants sous ma fenêtre,

les moteurs qui rugissent en grimpant la rue

où s’élève,

austère,  lépreuse,

la façade fatiguée de ma demeure.

 

Vivre toutes fenêtres ouvertes,

S’interpeler d’une maison à l’autre.

L’intimité du foyer déborde sur la rue.

 

Le dîner se prépare,

Les filles sont en délicieux mode femmes d’intérieur.

la maison respire,

à pleins poumons,

vigueur estivale,

les effluves de douche,

les repas que l’on prépare avec délicatesse,

les apéros où l’on bavarde,

commentant le dernier Philo magazine lu sur la plage,

après Cosmo.

 

Tara parle des villages blancs crayeux de Grèce,

des colonnes du Parthénon,

Camille de la foisonnante culture de Berlin.

 

Elle a vu la porte d’Ishtar.

Mille fois

j’ai rêvé de sentir sous mes doigts l’indigo lasuré de ce joyau d’histoire.

 

Une envie de voyage me prend

tandis qu’à mon tour j’évoque le souvenir merveilleux de Palmyre,

découverte,

au sortir d’un virage, en plein désert syrien.

 

J’allais à la frontière irakienne, j’allais vers la guerre ;

je ne m’attendais pas à une ville antique, sublimement posée dans l’écrin d’un oasis. 

Palmyre m’a laissée abasourdie,

 

Palmyre, voyage, errance,

surprise, beauté

au décours des plus insignifiants, arides, haillons de villes,

ou posée dans le long ennui des campagnes,

 

Soudain se trouver face

aux jubilatoires splendeurs du monde.

 

Au fil des jours, je lis,

relis,

savoure l’œuvre de Camus.

 

Quand l’ombre des chênes aux sèches rides a envahi toute la plage,

nous rentrons.

 

L’été avance, indiciblement. Son souffle devient lourd.

 

Déjà, j’ai allumé deux lampes dans ma chambre.

La cloche sonne vingt coups.

L’heure de la douche.

L’eau rythme nos journées, avec le soleil.

 

Tara a la couleur de l’été,

le camaïeu de lumières qu’offrent, ouverts sous le ciel, les champs enfin au repos.

Le blé, l’orge, l’argile, l’eau …

La Mésopotamie, maintenant, s’impose à moi, nostalgie des belles légendes.

 

Le soir va imprégner l’atmosphère.

Nous dormirons, bien,

à l’abri des épais murs de galets que j’ai mis tant d’années à soigner.

La fraîcheur qu’enferment les montagnes, à l’horizon, va se libérer,

et prendre le village.

 

Je pense au Sahel,

où seules quelques heures de la nuit sont un répit

pour les corps fatigués. 

Là bas aussi, l’intimité des foyers déborde dans les coures.

Là bas aussi, on se replie derrière des murs épais,

à l’ombre,

loin du brûlant étourdissement de soleil.

 

Mais un monde sépare mon village du Sahel,

région vouée,

inéluctablement,

au calvaire.

 

Sahel,

Maigre,

Délicate empreinte sur le monde, 

simple effleurement,

sensation de tristesse,

A peine.

 

Une région dont on se soucie peu

et, quand une catastrophe trop lourde pour être tue l’accable,

on soupire,

avec résignation,

en se disant : c’est le Sahel …

Le Sahel se passe de commentaires.

***

Ma caissière, hommage à une héroine ordinaire

Elle porte une blouse en tergal marron en été, de ces tissus qui font suer les aisselles, et une veste polaire du même marron le reste du temps, même à Marseille : elle travaille près des portes d’entrée du magasin, et le vent, surtout quand le Mistral souffle, s’engouffre vicieusement près des caisses. Les épaules, les manches sont trop larges, trop longues, alors elle les entortille sur ses frêles poignets pour laisser à ses mains la liberté dont elles ont besoin pour travailler. Les uniformes du magasin - dont je me demande qui les paie, l’employé ou le patron ? – ne proposent pas de taille XS, ou 34 pour les caissières chétives, ce sont des uniformes, c’est standardisé, calculé sur la taille moyenne. On n’est pas dans un concours d’élégance, elle pose pas dans les magazines comme chantait Ferrat, elle bosse dans un magasin. Ses mains qui émergent et s’agitent sans cesse sont constellées de plaques rougeâtres, une maladie de peau qui se lit aussi sur son visage minuscule, aussi minuscule que sa silhouette. Ses cheveux rares et fins, courts bien sûr, blancs-gris à la racine , se déploient depuis l’arrière de son crâne comme une laitue, mais le vert est remplacé par un roux incertain. Devant, ils retombent en une trop courte frange sur un front large, un peu aplati, au-dessus de sourcils qu’un trait de crayon peine à combler. Parfois, je remarque qu’elle est passée chez le coiffeur, ou qu’elle a fait une teinture maison, et la touffe végétale se mue en un casque bombé dont s’échappent des frisotis. Des yeux globuleux que les fins de journée rougissent, un petit nez qui rougit aussi quand elle est enrhumée et qu’elle s’excuse avec un sourire contrit d’éternuer dans un mouchoir en papier qu’elle remise ensuite discrètement en boule dans la manche boulottée. Une bouche fine où, du matin au soir, traîne un sourire franc, et dont s’échappe une voix aigrelette au fort accent marseillais.

Elle parle, beaucoup, elle commente les produits que je pose sur le tapis, elle commente le tapis qui rechigne à avancer comme il faut, elle s’excuse que ça ne marche pas bien, elle passe un autre produit avec un « voilà, voilà » en secouant sa petite tête, elle commente pour combler le silence de mots aimables, et quand elle a fini, elle joint ses mains minuscules avec un petit claquement, entre la prière et le geste de satisfaction, en me demandant si j’ai la carte de fidélité. Elle sourit quand je réponds immanquablement que, non, je ne suis pas d’une nature fidèle, et que je l’ai perdue. Après un regard furtif sur le chef, un grand gaillard à la chemise bleu ciel fermée jusqu’au dernier bouton, elle me chuchote que, tant pis, elle me fait la réduction sur la promotion réservée aux détenteurs de la carte de fidélité. Allez, je viens souvent, tous les deux jours à peu près, alors la preuve que je suis fidèle.

Si un produit mal étiqueté requiert qu’un employé vérifie en rayon, elle se lève d’un bond de son fauteuil tournant, un de ceux inventés par Edison – on devrait en parler un jour, pour alimenter notre conversation – et se précipite dans les rayons qu’elle connaît par cœur, depuis le temps qu’elle travaille ici ! Elle revient en courant et saute sur son fauteuil Edison, annonçant le prix d’un sourire satisfait. Inutile de déranger un employé, et d’ailleurs, appuyer sur la sonnette pour demander de l’aide est sûrement pour elle indigne de l’employée dévouée qu’elle est, réservé aux plus hautes urgences. Carte bleue, espèces ou chèque ? Carte. « Allez-y, la gameboy est prête ! » La même blague à chaque fois, à laquelle je souris à chaque fois pendant qu’elle dodeline de la tête, fronçant ses sourcils maigres quand la machine débite des tonnes de ruban papier, qu’elle attrape toujours aussi vivement, qu’elle plaque d’une main ferme sur le plan en inox, en comptant, et de un, et de deux, et c’est pas fini, et voilà madame !

Je guette la caisse qu’elle occupe, et je choisis sa file, sûre de l’efficacité parfaite de ma caissière. Moi qui ne choisit jamais la bonne file, elle est mon assurance qu’il n’y aura aucun incident me retardant, c’est si futilement pénible de devoir attendre au supermarché. 

Enfin, je guettais, parce que depuis le confinement, je suis partie me retrancher dans mes montagnes, laissant ma caissière à son sort de caissière, à son rôle d’héroïne ordinaire de nos temps extraordinaires. A-t-elle été malade ? Est-elle encore là chaque jour ? Agite-t-elle frénétiquement un torchon imbibé d’alcool sur le tapis de caoutchouc et sur le lecteur de carte après chaque client ? Porte-t-elle un masque qui gêne son sourire et sa conversation ? Comment rentre-t-elle, le soir, après une journée éreintante, alors que les bus doivent être plus rares que la neige en hiver à Marseille ? Combien de kilomètres doit-elle parcourir sur ses petites jambes rapides pour rejoindre son chez elle, forcément loin des quartiers sud, plus riches, de la ville ? 

Aura-t-elle droit à une prime, à une augmentation, maintenant qu’elle fait partie de ceux qui sauvent notre confort quotidien ? 50 euros, 100 euros ? J’imagine ce qu’elle imagine faire de cette aubaine : pas des vacances au soleil, non, mais pourquoi pas une coupe et une couleur ? Une petite robe pour l’été ? Ou du mieux pour ses repas quotidiens ? Imagine-t-elle qu’elle fait partie de ceux que l’on applaudit le soir depuis nos balcons et nos terrasses ? Est-elle fière, alors, elle qui semble si fière de son travail où elle échappe à l’ombre de l’anonymat à force de sourires, de mots gentils, de dévouement ? 

Je ne connais pas son nom, je ne sais rien de sa vie, ses conversations ne parlent jamais d’elle. Je ne sais pas où elle vit, si elle a des enfants, des parents, des proches, un mari peut-être. Je ne sais pas si elle est heureuse, malgré ses sourires affables, malgré la maladie qui ravine sa peau. Je sais seulement qu’elle est une caissière parfaite, loyale, dévouée, et éjectable, de ces personnes que l’on remercie sans merci un jour, parce qu’elle sera trop vieille, trop usée, ou parce que la folie lui prendrait de se plaindre de ses conditions de travail, de cette blouse en tergal, de cette polaire trop grande. 

C’est ma caissière, mon anonyme à moi, à laquelle je pense depuis mon confinement privilégié dans les montagnes, si sublimes au printemps.